Micheline avait deux grains, une de voix et un de folie, qui l'ont tous deux distinguée dès son plus jeune âge et jusqu'à ses derniers jours. Le premier embarrassa très tôt l'enfant timide qu'elle était. Difficile alors d'assumer cette voix " grave, insolite, qui détonnait, tranchait, dans le concert des timbres haut perchés des autres ". Surtout quand son père s'en servait pour lui faire la leçon. " J'avais à peine dix ans que papa m'obligeait, pour me punir de quelque peccadilles, à répondre au téléphone, instrument qui me causait une terreur insurmontable ", racontait-elle dans ses mémoires intitulés Je suis gugusse, voilà ma gloire. Je savais que j'aurai à affronter, neuf fois sur dix, en réponse à mon "Allô " pourtant timoré, le redoutable " Ca va mon vieux ? ". On me prenait pour mon frère - et même mon père. Croyez-moi, à dix ans, c'est traumatisant ". Mais cette petite fille réservée, à la grosse voix qui fera plus tard sa gloire, avait parfois des quarts d'heure de folie imprévisibles. " C'est son grain ", disait-on dans sa famille. Un pouvoir mystérieux qui, durant quelques minutes, lui donnait une assurance inconnue jusqu'alors, qu'elle employait à faires rire ses camarades. Au point de devenir quelqu'un d'autre, " quelqu'un tout court ". Elle se souviendra même d'une anecdote qui disait tout : " Un jour qu'à l'école j'exerçais ce talent putatif, la surveillante générale nous surprit, mon public et moi, et elle proféra ce qu'elle tenait pour une malédiction : " Mademoiselle, vous finirez sur les planches ". Et sa colère redoubla quand je répondis : " Dieu vous entende ".
La petite Micheline, qui vit son premier spectacle à 3 ans, rêva très tôt de théâtre, dans le secret de son journal intime. Elle enviait les acteurs-chanteurs, " capables de créer cette magie du son, du rêve, et de la joie ". Sans savoir que quarante ans plus tard exactement, ce serait elle qui triompherait en incarnant Metella dans La Vie parisienne d'Offenbach, avec la compagnie Renaud-Barrault. Et s'imposerait comme l'une des plus grandes figures du théâtre de boulevard.